1989-2019 : L’évolution du statut de l’étranger en Allemagne après la chute du mur de Berlin (Extrait)

Au moment où le mur de Berlin tombe en 1989, le statut de l’étranger, c’est-à-dire l’ensemble des règles juridiques définissant les droits et les obligations des non-ressortissants de l’Allemagne, des conditions d’entrée, de séjour, de résidence ou de naturalisation, est fixé par une loi datant de 1965.  La loi de 1965 fut élaborée dans le contexte de l’immigration de main-d’œuvre naissante, elle ne prévoyait pas de nombreux aspects de l’immigration qui se sont développés. Par ailleurs, elle proposait des statuts de séjour relativement instables jusqu’à cinq à huit ans de durée de séjour et considérait les enfants étrangers nés en RFA comme étrangers au même titre que leurs parents. Malgré une telle législation, la population étrangère s’était largement stabilisée en RFA.

Longtemps avant la chute du mur, la loi de 1965 faisait déjà l’objet de débat initié par la coalition CDU/CSU – FDP au pouvoir depuis 1982. En 1988, le ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Zimmermann, avait proposé un premier projet, qui avait été très critiqué et finalement retiré. La loi qui était votée le 26 avril 1990 au Bundestag (Assemblée fédérale) et confirmée le 11 mai 1990 au Bundesrat (l’équivalent du Sénat), était issue d’un projet de Monsieur Schauble (à l’époque ministre de l’Intérieur). Ce projet avait été lu la première fois à l’Assemblée fédérale en février 1990, et avait été voté en moins de trois mois. La rapidité de la procédure avait beaucoup surpris ainsi que la période choisie, l’actualité politique allemande étant alors dominée par d’autres préoccupations. Après tant d’années d’atermoiement, il était clair que les dirigeants de l’Allemagne de l’Ouest avaient voulu décider du statut des étrangers en RFA après la chute du mur et avant l’unification de l’Allemagne.

Peut-on dire que la nouvelle loi de l’époque traduisait un changement de conception de l’État allemand à l’égard des étrangers en jetant simplement un nouveau regard sur la présence des étrangers en Allemagne ? Cette loi améliorait-elle la situation des étrangers en Allemagne ?

Nous allons examiner les nouveautés apportées par la loi de 1990 pour les étrangers avant de jeter un bref regard sur la situation actuelle de l’étranger trente ans après la chute du mur.

Après la chute du mur, la loi adoptée en 1990 était entrée en vigueur en 1991 sur l’ensemble du territoire unifié.  Contrairement à la loi de 1965, elle avait tenté de régler au niveau fédéral l’ensemble des questions relatives à l’entrée sur le territoire, au séjour et à l’expulsion. Elle homogénéisait ainsi les conditions de séjour et de regroupement familial des étrangers en RFA. Elle consacrait la stabilisation d’une large partie de la population étrangère, en particulier en donnant la possibilité d’une naturalisation simplifiée ou facilitée (erleichterte Einburgerung) aux jeunes étrangers, et de nouveaux types de titres de séjour. 

La loi de 1990 prévoyait la possibilité d’acquérir la nationalité allemande pour deux catégories d’étrangers. D’une part, les jeunes scolarisés en RFA et, d’autre part, les étrangers séjournant depuis longtemps en Allemagne. L’expression allemande « erleichterte Einbürgerung » peut être traduite par naturalisation simplifiée puisqu’il s’agit effectivement d’une procédure de naturalisation, mais assouplie, parce que réservée à une certaine population et accessible à peu de frais. (À titre d’exemple à cette époque, un étranger qui demande la citoyenneté allemande entre l’âge de 16 ans et 23 ans obtient la naturalisation, s’il renonce ou perd sa nationalité d’origine ; s’il réside en RFA depuis 8 ans de façon régulière ; s’il a fréquenté un établissement scolaire pendant 6 ans, dont au moins 4 ans dans un établissement d’enseignement général et s’il n’a pas été condamné pour un délit (§ 85). Un étranger qui depuis 15 ans réside de façon régulière en RFA et qui demande sa naturalisation jusqu’au 31/1 2/1995 obtient la naturalisation, s’il renonce ou perd sa nationalité d’origine ; s’il n’a pas été condamné pour un délit ; s’il subvient aux besoins matériels de sa famille sans recours à l’aide sociale ou l’aide au chômage (12), (des exceptions sont cependant possibles). Ses enfants et son conjoint peuvent être naturalisés avec lui, même si la durée de séjour est inférieure à 15 ans (§ 86)).

L’instauration d’un droit à la naturalisation pour les étrangers résidant depuis longtemps en RFA et pour leurs enfants constituait un pas considérable en avant dans la conception juridico-politique allemande. Elle tranchait nettement, avec celle en cours jusqu’alors : Allemagne, pays des allemands. En privilégiant le critère de la résidence et/ou de la scolarisation en RFA, le législateur allemand exprimait cependant sa volonté politique de ne pas retenir le critère classique du droit du sol qui confère la nationalité en raison de la naissance dans le pays.

Dès l’entrée en vigueur de la loi de 1990, désormais, pour un jeune étranger il devenait  plus facile d’acquérir la nationalité allemande que le titre de résidence. Pour la naturalisation, il ne lui était plus demandé de pouvoir subvenir à ses besoins matériels ou d’avoir cotisé à une caisse de retraite. La loi favorisait donc nettement l’acquisition de la nationalité allemande au profit d’un statut consolidé en tant qu’étranger pour les jeunes entre 16 et 23 ans.

En accordant la nationalité à une population jeune, l’État allemand tirait ainsi le bénéfice certain de pouvoir recruter pour le service militaire. L’Armée Fédérale (Bundeswehr), tout comme d’autres institutions de la République fédérale, telles que la police ou les Chemins de fer commençaient à sentir, depuis un certain temps, les effets d’un taux de natalité des allemands qui ne permet pas le renouvellement des générations. Toutefois, la naturalisation simplifiée représente aussi des avantages concrets pour ceux qui en bénéficient. Jusqu’alors était allemand celui qui était de «descendance» allemande (deutscher Abstammung). La naturalisation était l’exception et impliquait l’adoption d’une identité allemande. Avec le droit à la naturalisation, il devient plus légitime de garder une identité ethnique différente tout en accédant aux droits des nationaux.

Prof. Emmanuel Kam Yogo, Département de Droit Public/Université de Douala – Extrait de la présentation lors du Symposium international : « 1989 et la chute du mur de Berlin comme événement mondial : un regard rétrospectif à partir de l’Afrique », 14-15 Novembre 2019, Centre pour la Coopération Scientifique entre l’Afrique et l’Allemagne (DAW Centre).

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