Allemagne : à quand la fin du statut de badaud… de la politique internationale ?

Après la Seconde guerre mondiale, le monde a changé. Sur le plan international, les principes sur lesquelles s’est fondée la création des Nations unies en 1945 étaient les suivants : les États membres étaient les seules entités souveraines, leur souveraineté s’exerçait pleinement sur le territoire national, les gouvernements des États étaient les seuls acteurs habilités et aucune loi ne pouvait être promulguée sans l’accord d’un État[1]. Aujourd’hui, cet ordre est remis en question, à la lumière notamment d’un certain nombre de mutations. Boutros Boutros-Ghali renseigne tout d’abord que l’État nation n’est plus l’unique source de souveraineté et l’autorité fondée sur le territoire géographique fait aujourd’hui question. Par ailleurs, les États ne sont plus seuls sur la scène internationale. De nouveaux acteurs, non étatiques, ont fait leur apparition[2].

C’est dans ce contexte international qu’évolue l’Allemagne depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Toutefois, malgré cette nouvelle reconfiguration de la scène internationale après 1945, la situation de l’Allemagne au niveau des sphères de décisions n’a pas fondamentalement changé. L’Allemagne reste exclue du Conseil de sécurité des Nations unies dont le rôle dans la prise de décision en matière de paix et de sécurité est de plus en plus croissant. Entre 1990 et 2000 par exemple, le Conseil de sécurité a adopté le même nombre de résolutions que durant ses quarante-cinq premières années de fonctionnement[3]. Ces décisions sont l’œuvre des cinq membres permanents : Chine, États-Unis d’Amérique, Russie, France et Grande Bretagne, les principaux vainqueurs de la Seconde guerre mondiale.

Cette absence de l’Allemagne comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies semble constituer l’un des obstacles de la réalisation des aspirations allemandes en Afrique. Cela se justifie lorsqu’on considère, les marges de manœuvres dont disposent les membres du Conseil permanent de sécurité des Nations unies. La nécessité de l’Allemagne de faire partie de ce cercle encore sélecte en matière de décision sur la paix et la sécurité dans le monde remonte à plusieurs années. En 1993, devenir membre permanent du Conseil de sécurité était présenté comme un but légitime de la nouvelle politique extérieure de l’Allemagne[4].

Angela Merkel, Chancelière de la République Fédérale d’Allemagne de 2005 à 2021 en vidéoconférence à l’occasion de la célébration des 75 ans de l’ONU en Septembre 2020.
UN Photo – Evan Schneider

Pour Karl Kaiser, poser la question d’un siège permanent pour l’Allemagne au Conseil de sécurité des Nations unies revenait à poser la question du retour de l’Allemagne au sein de la politique internationale en tant que grande puissance européenne. Surtout qu’au lendemain de la fin de la guerre froide, le gouvernement fédéral lui-même s’est engagé en faveur du siège permanent, même s’il a fait preuve d’une réserve frappante pour formuler les conditions et les raisons de cet engagement[5]. Dans ce contexte post-guerre froide, lorsqu’on évacue le statut de puissance nucléaire que présentent les autres cinq membres du Conseil de sécurité, accueillir l’Allemagne dans le cercle des membres permanents du Conseil de sécurité serait revenir à l’idée première des Nations unies, qui est de conférer une fonction spéciale aux grandes puissances dont l’importance dépasse le cadre de leur région, sans poser pour condition qu’elles aient le statut de puissances nucléaires[6].

En 1993, les travaux de Karl Kaiser posent le débat de la réforme des Nations unies en ces termes : « Le Conseil de sécurité ne peut remplir de tâches nouvelles et plus étendues que s’il est efficace et performant. Cela suppose que les États qui disposent des ressources les plus importantes prennent part aux décisions et à leur mise œuvre. L’Allemagne ne peut qu’en faire partie : c’est le troisième prestataire financier des Nations unies »

En réalité, en suscitant la présence de l’Allemagne comme membre permanent des Nations unies, Karl Kaiser identifie un certain nombre d’avancées tant au niveau européen que mondial. Un siège allemand au Conseil de sécurité de l’ONU devrait favoriser la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne car, jusqu’en 1993, la France et la Grande-Bretagne ont considéré comme « chasse gardée » la tradition nationale qui affirme leur statut privilégié au Conseil de sécurité. L’Allemagne n’étant pas dépositaire de cette tradition, Karl Kaiser pense que les évolutions de la politique internationale devraient conforter le gouvernement fédéral à la coordination européenne[7].

Au sein du système des Nations unies, afin de mieux réaliser ses desseins en matière de politique étrangère, la présence de l’Allemagne au Conseil de sécurité selon Kaiser Karl serait d’un apport déterminant en termes de contribution conceptuelle et matérielle efficace. Intégrées le Conseil de sécurité, les expériences spécifiquement allemandes auront une chance plus grande d’être prises en compte ou respectées que si elles s’expriment en dehors du Conseil[8]. Dans cette stratégie de réforme de l’ONU à travers son conseil de sécurité, il devient plus évident pour l’Allemagne de promouvoir ses valeurs. Parmi elles, figure la priorité accordée aux engagements de coopération non militaires et diplomatiques pour résoudre les problèmes de politique de sécurité que pouvaient poser l’après-guerre, l’intégration européenne, la politique de détente Est-Ouest et l’unification allemande[9].

Pour rassurer ceux qui craignent de voir l’Allemagne recommencer à jouer les grandes puissances si elle obtient un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, Karl Kaiser rappelle que premièrement, les traditions allemandes d’hégémonie et de puissance ont définitivement pris fin avec l’excès du pouvoir sous Adolf Hitler, que le problème allemand tient plutôt à l’oubli de sa puissance et que, deuxièmement, le Conseil de sécurité est le lieu où s’affrontent différentes notions de l’ordre politique : c’est bien là que l’Allemagne a une réelle chance de s’opposer à une résurgence d’antiques conceptions de l’ordre mondial, à des revendications d’hégémonie déguisées ou à un recours excessif à des engagements militaires[10].

Bien avant le consensus autour de l’entrée de l’Allemagne et du Japon au Conseil de sécurité de l’ONU comme nouveaux membres permanents[11] en 2007, Karl Kaiser abonde dans le sens de l’intégration de l’Allemagne dans les structures décisionnelles internationales dès 1993. À cette date, sans pouvoir exercer la moindre influence sur la décision ou le déroulement de la guerre, l’Allemagne a soutenu des actions internationales des Nations unies. C’est le cas du soutien apporté à la coalition mandatée par le Conseil de sécurité lors de la deuxième guerre du Golfe où l’Allemagne a versé près de 10 milliards de dollars, outre d’autres prestations[12]. Ce faisant, cette contribution de l’Allemagne représentait un dixième des coûts de cette opération.

Toutefois, il importe de relever quelques attributs du siège de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU. Ce statut exige des modifications et des adaptations de la politique allemande si elle veut apporter la contribution souhaitée à une politique de paix mondiale en servir les intérêts européens et allemands[13]. En effet, au sens de Karl Kaiser, avoir un siège permanent ferait de l’Allemagne, en association avec d’autres, l’une des puissances garantes du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde ainsi que des normes édictées en matière de droit international, y compris humanitaire. Bien plus, au-delà de ses contributions au financement des Nations unies, le statut de membre permanent au Conseil de sécurité s’associerait à des coûts politiques dans la mesure où, selon Karl Kaiser, l’Allemagne quittera son rôle de badaud pour participer à l’organisation de processus politiques internationaux.

Extrait de la thèse « L’Allemagne, l’Afrique, le containment géopolitique occidental : analyse stratégique de la nouvelle politique étrangère allemande en Afrique noire depuis la fin de la guerre froide ». Elle a été soutenue le 24 janvier 2019 par Pierre Le Grand Nka à l’université de Yaoundé 2. Seul le titre de cet extrait a été modifié. 


[1]Boutros Boutros-Ghali, Peut-on reformer les Nations unies?, https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=POUV_109_0005 , visité le 01/04/2018 à 01H20.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4]Kaiser Karl, Devenir membre permanent du Conseil de sécurité: un but légitime de la nouvelle politique extérieure allemande, Politique étrangère, 1993, 58-4, pp. 1011-1022, https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1993_num_58_4_5907#polit_0032-342X_1993_num_58_4_T1_1019_0000 , consulté le 01/04/2018 à 02H18.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7]Kaiser Karl, Devenir membre permanent du Conseil de sécurité: un but légitime de la nouvelle politique extérieure allemande, Politique étrangère, 1993, 58-4, pp. 1011-1022, https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1993_num_58_4_5907#polit_0032-342X_1993_num_58_4_T1_1019_0000 , consulté le 01/04/2018 à 02H18.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] Ibid. 

[11]Boutros Boutros-Ghali, Op. cit.

[12]Kaiser Karl, Devenir membre permanent du Conseil de sécurité: un but légitime de la nouvelle politique extérieure allemande, Politique étrangère, 1993, 58-4, pp. 1011-1022, https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1993_num_58_4_5907#polit_0032-342X_1993_num_58_4_T1_1019_0000 , consulté le 01/04/2018 à 02H18.

[13]Ibid.

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